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Lotfi Jeriri : Il ya 50 ans, le discours du 2 mai 1966

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Il y a cinquante ans, le Président Bourguiba prononça à Carthage un discours-programme consacré au sud tunisien. Le pays sortait à peine de ses crises (conflits avec la France, affaire Ben Youssef, guerre de Bizerte, tentative de coup d’Etat - Ch’raïti, etc...) et au leader de la nation de rappeler que presque la moitié sud du territoire national avait besoin d’une attention particulière pour mériter son statut de territoire libre après de longues décennies où elle fut soumise à un commandement militaire. Devant les cadres de la Nation, le Président Bourguiba a tracé les grandes lignes d’un programme de développement à même de sortir le sud tunisien de sa précarité, de le hisser au même niveau du reste du pays, et de démontrer - preuves à l’appui - que le sous-développement et autres conditions difficiles de vie et analphabétisme n’étaient pas une fatalité et encore moins insurmontables. 

Le visionnaire qu’était Bourguiba en ces temps-ci avait énuméré les grands axes d’un développement harmonieux et durable qui s’inspire en grande partie des potentialités aussi bien naturelles qu’humaines du sud tunisien, sur les plans agricole, touristique, industriel... malgré les aléas de la Nature (climat, sécheresse, invasions des sables).

Pour Bourguiba, il était urgent d’amorcer une politique de développement tous azimuts qui indique l’intérêt qu’accorde l’Etat tunisien naissant à toutes ses régions défavorisées et particulièrement le sud. Sauf qu’avec la politique des coopératives mise en marche, et le choix de nouvelles orientations politiques en matière d’économie et de développement régional, le sud devait attendre longtemps avant de voir se concrétiser les grandes œuvres proposées par Bourguiba en faveur du sud n’eut été l’abnégation et le courage d’une pléiade de jeunes talents fraichement diplômés des écoles françaises qui décidèrent d’organiser, en guise de commémoration du 1er anniversaire du discours du 2 mai 1966 le «colloque sur le développement du sud tunisien» du 2 au 5 mai 1967 à Zarzis. Ce colloque fut marqué par la participation de plusieurs personnalités de l’époque, notamment Béhi Ladgham, Ahmed Ben Salah, Abderrazzak Rassâa, Béchir Ennaji, Chedli Ayari, Tahar Amira, Lassâad Ben Osman, Abderrahman Ben Messaoud, Osman Bahri, Mokhtar lâatiri, Abdebaki Hermassi et Sadok Ben Jemâa. Et il n’y avait pas que les cadres du parti au pouvoir. Plusieurs figures de l’opposition (non reconnue) participèrent en nombre important au dit colloque: des universitaires, mais aussi des marxistes -dont Habib Attia-, ce qui a fait dire au premier ministre de l’époque Béhi Ladgham qui voyait plutôt d’un mauvais œil la tenue - et fulminait contre l’organisation - d’un tel évènement: «qu’est-ce que c’est que ce colloque sur le développement du sud auquel participent des communistes?». Craignant un retour de la manivelle, les organisateurs se devaient d’être protégés politiquement. Ils trouvèrent l’assurance politique auprès de Béchir Zarg Laayoun qui assista personnellement au colloque et contribua à son succès tout en étant surpris par le nombre et la qualité des participants et des débats (*).

Après le colloque, les initiatives se sont multipliées pour mettre en œuvre et en exécution les différentes recommandations. La SONMIVAS (la Société Nationale de Mise en Valeur du Sud) voit le jour, ensuite c’est la Société régionale des Transports, suivie de la création de «Sahara Confort» une société de services chargée d’approvisionner les plateformes pétrolières à El Borma essentiellement ensuite partout sur le territoire de la République, avec - en plus - l’autorisation de créer des magasins de libre service (les magasins «Sahara Confort»). Et parmi tous ces projets, il devait y avoir un pourvoyeur de fonds à même d’aider à la création d’entreprises spécifiques et épauler les promoteurs à financer des projets ciblés créateurs d’emploi et la Banque du Sud fut lancée pour un seul but: se concentrer sur les projets et autres initiatives liés au développement du sud, encore fallait-il instaurer l’environnement adéquat et propice pour ce faire, et c’est ainsi qu’une zone industrielle fut créée à Gabès.

C’est donc tout un panel d’institutions spécifiques qui fut instauré et doté des moyens à même de réussir et de prospérer. La SOMNIVAS ne laissa aucun domaine sans y intervenir. Même le logement elle y investit, créant la STIM qui érigea nombre de bâtiments dotant la région de Médenine des moyens d’accueillir les promoteurs dans divers domaines dans les conditions requises. Ceci sans parler des emplois créés. Dans l’administration, mais aussi dans le bâtiment, les services, l’agriculture, l’industrie, le tourisme. Et du coup Médenine devint attractive offrant des opportunités diverses et multiples. Mais avec l’avènement du gouvernement Nouira pour qui 1+1=2, l’Etat ne peut indéfiniment débourser pour investir sans la rentabilité économique conséquente. Il fallait donc à toutes ces entreprises de compter sur elles-mêmes pour perdurer. Elles faillirent péricliter, mais étant principalement régionales elles jouirent du soutien de l’autorité régionale, il y va de la stabilité de toute une région qui doit sa survie à ces mêmes entreprises. Sauf qu’étant étatiques ces entreprises ne pouvaient en aucun cas décliner l’exécution d’œuvres tout aussi étatiques quitte à y laisser des plumes. La chute devint inéluctable. La STIM en faillite, la SOMNIVAS en perdition, la SRTGM tenue par le ministère du Transport, Sahara Confort tient le coup tant que le pétrole jaillit à El Borma et la Banque du Sud vole de ses propres ailes devenant une banque commerciale comme toutes les banques n’ayant aucun lien spécifique ou particulier avec le sud.

Avec l’arrivée de M’zali en 1980 au premier ministère, outre cet air de liberté et de démocratie qui souffla sur le pays, le programme du gouvernement consacrait divers volets pour la promotion et le développement des zones déshéritées, le sud en premier. Comme pour dépoussiérer un dossier longtemps perçu comme «classé» puisque diverses institutions et autres sociétés continuaient à marcher quoique avec peine et difficultés grandissantes au fil des ans, «La ligue du 2 mai pour la promotion du Sud» vit le jour sur initiative de Feu Sadok Ben Jemâa entouré d’une équipe jeune représentative de tous les gouvernorats du sud de Tozeur à Tataouine qui ne tarda pas à devenir gouvernorat autonome à partir de 1981. Séminaires, colloques, conférences, débats et autres réflexions ont été organisés partout sur le territoire du sud pour explorer tous les moyens à mettre en œuvre afin de concrétiser des projets fiables, scientifiquement élaborés par des experts en divers domaines. Agriculture, tourisme, industrie, bâtiment, transport, tous les atouts et ressources furent valorisés pour en extraire de quoi enrichir le tissu économique de la région, créer de la richesse et favoriser l’emploi. La SONMIVAS devint l’ODS (l’Office de Développement du Sud) pour en élargir les horizons et accroitre les moyens d’intervention rapide et efficace.

Mais à force de trop forcer sur des sociétés fragiles, sur des entreprises semi-étatiques qui sous la pression des «politiques» avides de résultats se devaient de favoriser le social au détriment de la rentabilité économique, nombre d’elles a très vite déchanté, la récession aidant en plus d’une infrastructure de base inadéquate n’aidant jamais à rentabiliser certains secteurs en besoin d’élargir leur réseau de distribution face à une concurrence ardue de la part d’entreprises similaires dans d’autres régions plus favorisées et plus proches d’une administration de tous temps centralisée.

Que reste-t-il du discours du 2 mai 1966 ?

Rien ou presque.
- L’ODS est toujours là. Un grand bâtiment au cœur de la ville de Médenine de plusieurs étages loués à divers établissements administratifs et autres sociétés et entreprises. D’un centre de réflexion et d’études il est devenu un projet immobilier.
- La STIM a fait faillite depuis les années 90.
- La SRTGM encore debout, mais loin des années prospères. Idem pour la Société de transport des marchandises qui sans le soutien de l’Etat auraient périclité depuis belle lurette.
- «Sahara Confort» n’est plus. Après la chute de la production dans les champs d’El Borma, la SITEP (société italo-tunisienne d'Exploitation Pétrolière) ne comptant plus les mêmes effectifs d’employés, le marché qu’elle constituait pour Sahara Confort n’est plus rentable. Après quelques années où elle connut des difficultés monstres, la prestigieuse Sahara Confort a été vendue à Monoprix.
- La Banque du Sud, devenue dès le départ une banque commerciale, a fini par changer de nom Ettijari Bank. Le Sud ne lui ayant pas assuré les résultats escomptés.

C’est là une liste loin d'être exhaustive des sociétés et entreprises créées pour donner au sud cet essor à même de le sortir de ses conditions difficiles et le rentrer dans le circuit producteur de richesses et par là lui assurer une forme d’autonomie salvatrice. Sauf qu’en plus des politiques insensées, des mesures inadéquates, des approches surréalistes, d’une administration centralisée encore et toujours et des coûts de production de loin plus élevés ici qu’ailleurs, le sud s’engouffre dans un déclin qui n’augure rien de bon. Et depuis la «révolution» les conditions de vie sont de plus en plus difficiles face à des gouvernements qui se succèdent sans rien proposer de concret à une région qui couvre le tiers du pays, et qui, plus que jamais, manque de tout et essentiellement de perspectives d’avenir.

Encore une fois: que reste-t-il de la philosophie et du programme du discours du 2 mai 1966 ?
Rien. Hormis une grande avenue au cœur de la ville de Médenine qui en porte le nom «Avenue du 2 mai 1966».
Un nom, désormais, sans signification aucune.

(*) - Voir «Entetien avec Sadok Ben Jemâa» - de Tijani Azzabi - Editions Dar Tounès 2012 - P. 116


Lotfi Jeriri

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