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Lotfi Jeriri : Obscurité dans la rue qui a vu naître la lumière à Djerba

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Ce soir, par hasard, je suis passé par la rue Jamâa Echikh, c'est son nom, à Homet-Souk, à l’île de Djerba. Elle se trouve, comme vous le savez (bien sûr, je parle aux "Souagas", autrement les habitants de la ville) au cœur de la "Médina". Elle était sombre. Même les deux candélabres qui s'y tiennent debout manquaient d'ampoules, ou ce qu'il m'a semblé, n'ayant pas vérifié. Et même, elles étaient éteintes. Je regarde la maison de mon instituteur Feu Taïeb Ben Dâamech. Elle aussi dans l'obscurité, du moins du côté de sa façade visible. Donc, aussi bien à la rue, qu'à la maison, point de lumière. Et pourtant !

Pourtant quoi, me diriez-vous ?

Je vais vous dire.

C'est dans cette maison, qui appartenait en ces temps-là à Mr Radhi Jazi, premier pharmacien tunisien à ouvrir son officine sur l'ile des rêves, ou l'île qu'elle était en cette période... lointaine, que s'alluma la première ampoule d'électricité sur l'île de Djerba, un certain 24 décembre 1959. Pas seulement, mais aussi dans la maison à côté, propriété à l'époque de Feu Béchir Ben Hamida. Le 25 décembre 1959, c'est la délégation et les maisons des Feus Jilani et Salem Anane qui jouirent des bienfaits de cette nouvelle opportunité, avant qu'elle n'atteigne d'autres notables de la ville. Seule Mme Jeribi, propriétaire du Grand-Hôtel, refusa l'entrée de l'électricité, fournie à l'époque par une société française, la SOCOMETRA, à son établissement. Et il a fallu que naisse, ou qu'elle arrive à Djerba, la STEG en 1961 pour qu'elle accepte enfin d'être "branchée" au réseau de la lumière, et cela lui coûta les yeux de la tête: 130 dinars. Ce qui n'était pas minime.
En marchant vers mon quartier, je me suis rappelé subitement de tout cela, comme pour constater que la rue qui avait vu naître l'électricité sur l'île du Lotos se trouve, 57 ans après dans l'obscurité totale. Et je me suis dit: Denya !

Ah, oui, Wallah.

Que de souvenirs je garde de cette rue et de la maison de mon instituteur préféré Si Taïeb, à laquelle, tout fier d'être l'élève du jour, chaque jour presque, je transportais en signe de récompense et de distinction sur les bras, les cahiers de classe pour les remettre à sa jeune épouse, d'une beauté sublime, qui se tenait devant la grande porte du domicile conjugal avec sa belle-mère, Khalti Kheyria à attendre le retour de son époux de l'école.
Aujourd'hui, ils sont partis sous la lumière du Paradis j'espère, que, tous ils méritent. Avec eux est partie une lumière qui illuminait un coin de rue chargée d'histoire, mon histoire. Si Taïeb, fils unique, était "dhaou el houch" (la lumière de la maison, c'est de ce nom que sa maman Khalti Kheyria, l'appelait), lui qui était son rayon de soleil qu'elle avait tant chéri jusqu'à sa mort le 22 septembre 1992.
Le rayon de soleil s'est éteint prématurément. Avant lui, et après lui d'autres vies se sont éteintes. Et aujourd'hui c'est la rue - sa rue - elle même qui sombre dans l'obscurité totale.

Ne vous ai-je pas dit: pourtant.
Eh, oui, Pourtant !

P.S: quand il s'agit de Taïeb Ben Dâamech j'ai du mal à m'arrêter de parler. Paix à son âme.
Lotfi Jeriri

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