Que serait le petit émirat du Qatar sans Al-Jazeera. La chaîne satellitaire diffusant à partir de Doha a fait la renommée de la presqu’Ile adossée au géant saoudien et comme lui d’obédience wahhabite. Grâce à cette station de TV, le Qatar est entré en bisbille avec tous les pays arabes ou presque. L’Arabie Saoudite était parmi les premiers pays qui se sont trouvés dans le viseur de la chaîne. Pour lui rendre la monnaie de sa pièce, les autorités saoudites avaient jusqu’à un passé récent interdit à la chaîne de couvrir le pèlerinage de la Mecque. C’est dire. Mais pas seulement. L’Egypte de Moubarak comme de Sissi est le mouton noir de la chaîne qatarie. C’est seulement pendant la parenthèse de Morsy que le pays du Nil a été épargné. Les Emirats ont été dans le collimateur de la station également malgré la proximité géographique entre les deux pays.
Attiser le feu qui couve
Tout le monde convient que la station qatarie a joué un rôle majeur dans le déclenchement des « révolutions » du « Printemps arabe ». Elle a attisé le feu en soufflant dessus pour qu’il gagne d’autres contrées. Elle s’est réjouie comme personne lorsque les « dictateurs » sont tombés l’un après l’autre. Comme si le Qatar est une démocratie exemplaire. Fait remarquable, la chaîne s’intéresse très peu aux affaires de l’Emirat sauf pour mettre en évidence ses « prouesses diplomatiques » lorsqu’elles ont lieu.
Mais Al-Jazeera ne savait pas qu’en favorisant le «Printemps arabe », elle creusait sa propre tombe. Car les « révolutions » ont eu pour effet de donner du crédit aux chaînes nationales que les populations des pays arabes ont recommencé à regarder. Celles-ci leur servaient les informations de leur propre pays dont ils étaient auparavant sevrés. Mais plus est, ceux qui se sont accrochés à regarder la chaîne se sont rendus compte de son parti pris sur les sujets qui les concernent. De quoi, les inciter à éviter de la regarder.
Des réserves qui fondent comme neige au soleil
Après avoir culminé avec 46 millions de téléspectateurs par jour, l’audience de la chaîne a peu à peu fondu comme neige au soleil. Ils ne seraient plus que 6 millions à la regarder actuellement. Ce qui a conduit la direction de la chaîne à revoir ses ambitions à la baisse. Surtout que l’émirat a vu ses recettes baisser drastiquement suite à la chute du prix du pétrole. Les réserves de l’émirat qui étaient de 250 milliards de dollars en 2015 vont être réduites de 50 milliards cette année. Puis le pays va organiser la coupe du monde de football en 2022, ce qui va lui couter la bagatelle somme de 150 à 200 milliards de dollars. Al-Jazeera ne peut pas être épargnée. Sur les 5200 journalistes, techniciens et administratifs que la chaîne compte dans son quartier général et dans ses 80 bureaux à travers le monde, la moitié devrait être licenciée. Ce « dégraissage » qui a déjà commencé en 2015 se poursuivra en 2016 au cours de laquelle le plan de licenciement concerne quelques 500 employés dont une grande majorité d’administratifs.
Ainsi, la station al-Jazeera aux Etats unis sera elle bel et bien supprimée sur deux ans. N’ayant pu réunir que tout juste 20.000 téléspectateurs pour un coût estimé à 2 milliards de dollars au cours des ses deux ans et demi d’existence, cette station a été un bide et il a fallu arrêter les frais au plus vite.
Révision déchirante
Mais ce ne sont pas des raisons financières qui ont amené les autorités de l’Emirat à cette révision déchirante. Il faut remarquer que depuis l’abdication-surprise de l’Emir Hamad Ben Khalifa et son remplacement par son fils Tamim Ben Hamad, l’Emirat s’est évertué à remettre de l’ordre dans ses orientations diplomatiques. Partisan de relations apaisées avec ses voisins et d’une politique moins agressive envers le reste du monde, le jeune monarque veut aussi prendre ses distances par rapport à la confrérie des « Frères musulmans » dont la chaîne était le porte étendard médiatique.
D’ailleurs, on a observé que la position du Qatar en relation avec le conflit syrien s’est modérée quand celle de l’Arabie Saoudite s’est davantage crispée. Sur le conflit au Yémen, Doha s’est alignée sur Riyad, ce qui était inimaginable du temps de l’émir précédent.
Pour consacrer la «réconciliation » avec ses voisins, l’Emir Tamim s’est rendu en Arabie Saoudite avant de s’envoler pour Abou Dhabi, puis pour Dubaï afin de rencontrer successivement le prince héritier des Emirats et le gouverneur de Dubaï, les deux ne portant pas Qatar dans leur cœur et c’est peu de le dire.
Al-Jazeera et la Tunisie
La chaîne a été un acteur important dans les relations de la Tunisie avec Qatar. A cause d’elle, les relations diplomatiques ont été rompues et l’ambassade tunisienne à Doha a été fermée en 2007. C’est elle qui a attisé le feu de la « révolution » et a été la première à annoncer « la fuite » de l’ex-président Ben Ali. Depuis le 14 janvier 2011, elle a ouvert un bureau à Tunis qui s’est empressé de couvrir de toutes les « protestations » sur la scène tunisienne. Elle était même partie prenante dans le paysage politique en défendant les thèses de l’Islam politique représenté par Ennahdha et en favorisant le clan de l’ancien président provisoire Moncef Marzouki aux dernières élections présidentielles. Lors des manifestations dans le sud du pays, elle a assuré une couverture en direct de ces événements estimant qu’ils étaient les prémices d’une «seconde révolution». En Tunisie, son audience s’est effritée et elle ne compte plus qu’une poignée de fidèles irréductibles.
Alors que la baudruche est en train de se dégonfler, faut-il regretter le temps « heureux » pour elle, où elle était « faiseuse d’opinion » dans le monde arabe. Pas du tout. La « boîte d’allumettes » comme décrite pas l’ex-président égyptien Hosni Moubarak après avoir visité son premier siège en préfabriqué est en train de revenir à sa véritable dimension. Le minuscule émirat aussi.
Raouf Ben Rejeb