Mais bien avant les événements de 2011, le tourisme était dans la tourmente depuis les années 1990. La crise est donc très profonde. La situation des hôteliers s’est dégradée. Ils ne peuvent plus rembourser leurs dettes et comme l’a précisé Hichem Hajri, Président de l‘Association pour la promotion du tourisme tunisien « Cet endettement est resté sans réponse. Quelques 300 hôtels sont aujourd'hui endettés, soit 1/3 de l'hôtellerie nationale. Si les banques attribuent leurs difficultés de liquidité à l'importance des créances impayées du secteur touristique, les hôteliers attribuent leurs endettements à des pratiques bancaires non conformes aux dispositions réglementaires au niveau du taux d'intérêt appliqué aux hôteliers, aux méthodes de calcul et de perception des intérêts entraînant des augmentations exponentielles irrégulières de leurs dettes. Du coup, depuis quelque temps, de plus en plus de voix s’élèvent pour protester contre l’absence de mesures efficaces en faveur des hôteliers super endettés. C’est dans ce cadre que notre Association pour la promotion du tourisme tunisien (APTT) a organisé cette conférence-débat sur l’endettement du secteur touristique».
Dans une situation morose, la rentabilité du secteur de l’hôtellerie reste négative. Pire encore, elle ne cesse de se détériorer depuis quelques exercices. Cette situation s’est aggravée par la hausse des charges d’intérêts due à un endettement important.
Ridha Taktak, un des hôteliers et membre à la FTH (Fédération tunisienne de l’hôtellerie), a expliqué que plusieurs hôteliers investisseurs vivent une crise aigue. "L'heure est grave, nous ne sommes plus prêts à nous taire. Les difficultés sont énormes et les autorités nous font la sourde oreille. On est en train de rembourser plus de 600% du montant durant ces 20 ans. C’est aberrant. On nous taxe fortement alors que nos hôtels sont presque vides depuis la révolution ».
Mounir Sahli, expert en tourisme, a reconnu que l'endettement hôtelier est le problème numéro 1 du tourisme en Tunisie. « Les hôteliers ne sont pas les seuls responsables. La résolution de ce problème passe par une collaboration étroite entre le ministère des Finances et celui du Tourisme et de l'Artisanat ainsi que les organisations professionnelles afin de permettre une meilleure visibilité et un meilleur positionnement des problèmes qui se posent aux hôteliers. Aussi, serait-il une priorité d'établir une « feuille de route transversale » qui traduirait les attentes des différents acteurs de l'hôtellerie et de toutes les composantes du tourisme et qui identifierait les actions ayant un impact immédiat sur l'économie du tourisme.
Tijani Hadad, expert en tourisme et hôtelier à Hammamet, est revenu sur l’origine de cet endettement en se référant à l’expérience des jeunes promoteurs qui ont été trompés et malmenés par les banques. Ils ont été victimes des mauvais choix des banquiers avec notamment des projets de 140 lits dans des zones touristiques de Yasmine Hammamet, de Tabarka et dans les zones du tourisme saharien. L’Etat a permis une sous capitalisation de l’entreprise et a limité sa capacité à 140 lits. Ce qui n’est pas rentable pour des unités situées en 2ème et en 3ème zone. Avec un taux d’intérêt de 17%, ils ont fini par baisser les bras voire quitter le secteur.
Zakaria Zgolli, secrétaire général de la FTH, a reconnu que le projet de loi relatif à la société de gestion, rejeté par l’ARP (Assemblée des représentants du peuple) était plutôt une tentative de spoliation. Une commission à laquelle participent toutes les parties prenantes, y compris la FTH et la FTAV (Fédération tunisienne des agences de voyages), est en train de mettre au point un nouveau projet de loi. Il sera basé sur le classement des hôtels en différentes catégories avec adoption de solutions appropriées pour chaque catégorie ».
Mouna Ben Hlima a appelé à assainir le secteur : « Les bons hôteliers doivent continuer à gérer l’hôtellerie alors que les mauvais doivent assumer leurs responsabilités. Les banques doivent trancher et chaque retard corse la situation du secteur ».
Ahmed Karam, en sa qualité de Président de l'association Professionnelle des Banques, a appelé à mettre fin à cet endettement el libérant le ciel, en autorisant une composante immobilière sur les terrains hôteliers, en payant en devises les allotements et en développant les réservations électroniques. Bref, l’endettement, si besoin est, doit servir à financer l’investissement créateur de revenus et d’emplois. Dans ce sens, le gouvernement doit prendre le taureau par les cornes et engager sans tarder les réformes structurelles avec les professionnels.
Kamel Bouaouina
Crédit photos : Rached Berrazegua